La race à l’ère de Trump : S’attaquer au passé et au présent racial du Canada
« Je déménage au Canada! »
En tant que Canadien étudiant aux États-Unis, c’est une phrase que j’ai souvent entendue de la part des Américains. Ils semblent toujours menacer de déménager au Canada lorsque les choses ne se passent pas comme ils veulent. J’avais pris l’habitude de dire aux Américains que j’étais Canadien et de les entendre plaisanter sur le fait de déménager au Canada. Je riais et je poursuivais en faisant un commentaire sur les soins de santé gratuits. Au cours de la saison électorale de l’année dernière, j’ai commencé à entendre cette phrase, « Je déménage au Canada », de plus en plus souvent, alors que Donald Trump gagnait du terrain, puis devenait étonnamment le 45e président. Ses positions anti-immigration et son refus de désavouer les suprémacistes blancs n’ont fait qu’amplifier le sentiment que le Canada pourrait être une balise pour les Américains à la recherche d’une société plus juste sur le plan racial et social. Puis j’ai commencé à m’insurger contre les Américains qui font cette proclamation.
Ce qui a fait la différence cette fois-ci, c’est moins ce qui se passait aux États-Unis que la façon dont le Canada était dépeint comme un sanctuaire du libéralisme, de l’inclusion et surtout du multiculturalisme : l’antithèse même de Donald Trump. À mon retour au Canada pendant les vacances, les Canadiens semblaient être fiers d’être le nouveau sauveur libéral du monde.
On me demandait souvent : « Alors, comment est-ce de vivre aux États-Unis dans le climat politique actuel? » Parfois, la personne voulait sincèrement savoir ce que cela faisait d’être immergé dans l’histoire vivante, un peu comme un adolescent à la fin des années 1960. La plupart du temps, les Canadiens me demandaient en fait : « En tant que personne Noire, vous sentez-vous en sécurité dans un pays raciste? », en espérant que je les gratifierais d’une réponse du type : « C’est difficile, je suis heureux d’être de retour au Canada, où je suis en sécurité et respecté. » C’est la réponse que les Canadiens veulent, mais ce n’est pas celle que je donne.
Franchement, je trouve exaspérant que le Canada s’auto-félicite alors que les Canadiens Noirs sont oubliés, mis à mal et opprimés par nos systèmes racistes. On pense que le Canada est une nation inclusive et bienveillante; un refuge pour les groupes marginalisés alors que le monde devient de plus en plus exclusif. Toronto est louée comme l’épicentre du multiculturalisme. Les Canadiens privilégiés – le plus souvent des Blancs et/ou des personnes hétérosexuelles de classe moyenne à supérieure – évoquent constamment l’échange de cultures qui a lieu à Toronto grâce aux festivals et à la proximité d’autres ethnies. Mais s’il s’agit d’un échange, alors les Noirs ont été, comme le diraient les jeunes Somaliens, « kawaled » (trompés). Arnaqués.
En clair, les avantages que les Canadiens blancs retirent du multiculturalisme, les Canadiens Noirs ne les retirent pas.
À ceux qui défendent le multiculturalisme, je demande : comment le multiculturalisme a-t-il protégé Dafonte Miller, un jeune Noir d’un an plus jeune que moi qui a perdu son œil après avoir été battu avec un tuyau métallique par un policier? Où était le multiculturalisme bienveillant du Canada pour Charline Grant, une mère Noire qui s’est fait traiter de « n– » par un conseiller de la commission scolaire de York alors qu’elle tâchait de défendre son fils? Comment les nouveaux arrivants Noirs canadiens peuvent-ils bénéficier du multiculturalisme alors qu’ils sont déqualifiés par un marché du travail discriminatoire qui refuse de reconnaître leurs expériences professionnelles antérieures parce qu’elles ne correspondent pas à l’expérience canadienne? Tous ces exemples de racisme ont lieu ici même, dans notre « ville multiculturelle inclusive ». L’échange multiculturel de Toronto est, le plus souvent, unilatéral.
Le multiculturalisme n’aborde pas le racisme systémique, mais il fournit de la main-d’œuvre, des divertissements et l’allusion à la culture aux « vrais Canadiens ». Le multiculturalisme ne s’attaque pas au racisme systémique et n’offre pas l’espace et le langage nécessaires pour parler du racisme et de l’oppression. Au lieu de cela, nous sommes contraints de « célébrer » nos cultures de manière souvent superficielle et essentialisante.
Oui, le président des États-Unis est un démagogue orange et raciste qui a une base de suprémacistes blancs, mais ces questions raciales ont toujours existé. Trump a juste contribué à les mettre en lumière et à les magnifier. Le pays est maintenant contraint de faire face à ces questions raciales. Alors que les suprémacistes blancs sont de plus en plus audacieux dans leur haine, l’audace de la résistance a également augmenté.
Tout comme aux États-Unis, le racisme anti-Noirs fait également partie du tissu canadien.
La présidence de Trump ne fait pas de nous des Canadiens progressistes par défaut. Nous abhorrons à juste titre la rhétorique de Donald Trump et de ses partisans, mais nous ignorons à tort notre passé racial, en prétendant que le racisme s’arrête à la frontière. Alors comment notre nation multiculturelle inclusive a-t-elle réagi lorsque la même rhétorique suprémaciste blanche a été utilisée à l’intérieur de nos frontières? Nous l’avons abordé passivement et avons continué à tourner notre attention vers le sud. Au Canada, nous essayons de garder le racisme à distance. C’est un luxe que les Canadiens blancs ont, de dire « Je ne veux pas être entouré de tous ces trucs racistes ». Dafonte Miller n’a pas eu ce choix; Charline Grant n’a pas eu ce choix; je n’ai pas ce choix; les Noirs de ce pays n’ont pas ce choix. Il est temps pour les Canadiens d’agir.
En fait, j’ai bon espoir que la plupart des Canadiens ont de bonnes intentions, mais ne sont tout simplement pas conscients de l’histoire raciste du Canada et de la façon dont le racisme et l’oppression sont toujours présents aujourd’hui. Cet été, j’ai été rassuré de constater qu’il existe une volonté politique de s’attaquer à ces problèmes systémiques, car j’ai assisté et participé à des séances communautaires organisées par le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse dans le cadre du Plan d’action ontarien pour les jeunes Noirs, un plan de 47 millions de dollars sur quatre ans qui s’attaquera aux disparités dans les résultats du racisme anti-Noir dont sont victimes les enfants et les jeunes Noirs de l’Ontario.
J’ai hâte de revenir au Canada après l’université et de participer à la construction d’un pays qui pourrait vraiment être un leader mondial en matière d’inclusivité et de diversité. Quant au multiculturalisme, vous pouvez l’oublier. Je veux plus pour tous les Canadiens. Je veux la justice, l’équité et la compassion dans nos relations humaines.
1 Je reconnais que d’autres groupes marginalisés au Canada, comme les peuples autochtones, subissent également une oppression importante au sein des systèmes canadiens. Cet article de blogue est une réflexion personnelle et, en tant que tel, il est axé sur l’expérience des Noirs.